L’IRAK À LA CROISÉE DES CHEMINS

Depuis plus de deux mois, des jeunes en Irak protestent contre la corruption, le chômage et l’ingérence iranienne et américaine dans la politique intérieure. Les manifestations anti-gouvernementales ont pris la forme d’un mouvement de désobéissance civile plus large avec des sit-in organisés dans toutes les grandes villes, y compris Najaf, Karbala, Bassora et Bagdad. Les rapports suggèrent que plus de 400 personnes ont perdu la vie à cause des mesures prises par les forces de sécurité et des mercenaires alignés sur les Forces de mobilisation populaires (FMP) fidèles au Corps des gardiens de la révolution de l’Iran( CGRI).
Vendredi dernier, le Premier ministre Adel Abdul-Mahdi a démissionné après que le religieux chiite influent Ayatollah Ali al-Sistani a appelé le Parlement à envisager de retirer son soutien à son gouvernement. Deux jours plus tard, le Parlement approuve sa démission et demande au Président de nommer un nouveau Premier ministre. Néanmoins, les manifestations se sont poursuivies sans relâche, le centre du mouvement se déplaçant maintenant sur la place Tahrir à Bagdad.
Les difficultés économiques et la corruption sont devenues les questions les plus importantes pour la jeunesse irakienne. L’Irak souffre de troubles sectaires et d’une guerre civile depuis l’attaque américaine de 2003. Malgré des élections régulières, la stabilité politique a été difficile à rétablir. Les problèmes économiques ont persisté malgré le retour de l’Irak en tant que principal exportateur de pétrole sur le marché international du pétrole. Les gens attribuent cela à la mauvaise gestion des fonds et à la corruption de la classe politique.
Les troubles qui ont suivi le Printemps arabe ont encore compliqué la capacité de l’Iraq à se remettre de ses difficultés. La montée de Dae’sh (ISIS) en 2013-2014 a ramené l’Irak au bord de l’effondrement alors que le groupe terroriste réalisait des gains rapides et prenait le contrôle de vastes territoires, déclarant la fondation d’un «califat» en juin 2014. La chute de Mossoul et la défaite de Dae’sh en décembre 2017 n’a cependant pas entraîné la fin des troubles du peuple.
Les élections législatives de mai 2018 devraient annoncer une nouvelle ère en Irak et mettre fin à la corruption généralisée, au chômage, à l’apathie politique et aux tensions sectaires. Cependant, les élections ont produit un mandat très fractionné, ce qui a retardé la formation du gouvernement. Il a fallu plus de cinq mois au parlement nouvellement élu pour former un gouvernement. Adel Abdul-Mahdi, qui a pris les commandes en octobre 2018, n’a pas pu faire grand-chose pour gagner la confiance du peuple.
Une autre question qui a résonné parmi la jeunesse est l’ingérence iranienne dans les affaires intérieures de l’Iraq. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, l’Iran est devenu un acteur majeur en Irak avec sa forte présence politique et militaire. Les milices chiites formées par le CGRI qui ont formé la FMP ont joué un rôle important dans la défaite des Dae’sh. Il a également été allégué que l’ingérence de Téhéran était à l’origine du retard dans la formation du gouvernement après les élections de mai 2018.
Il y a également une influence américaine importante à Bagdad tandis que les monarchies arabes du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, ont elles aussi essayé de renforcer leur voix à Bagdad. Aux yeux des Irakiens, l’influence prépondérante des Etats-Unis et de l’Iran a empêché toute autorité fonctionnelle à Bagdad et, par conséquent, la colère des manifestants s’est dirigée contre les deux.
L’Irak dispose de vastes réserves de pétrole et est l’un des plus gros exportateurs mondiaux de pétrole. L’Inde importe également du pétrole irakien qui est son principal fournisseur de pétrole depuis 2018, poussant l’Arabie saoudite au deuxième rang. En 2018-2019, l’Inde a importé du pétrole iraquien de l’ordre de 22,3 milliards de dollars, représentant près de 13% des importations totales de pétrole de l’Inde. New Delhi doit surveiller attentivement la situation intérieure en Irak. L’Inde a bien sûr diversifié son panier d’importations de pétrole compte tenu de la situation mondiale.
L’incapacité des autorités iraquiennes à faire face pacifiquement aux manifestations et à assumer la responsabilité collective a encore compliqué les choses. L’Iraq est aujourd’hui à la croisée des chemins et doit décider de sa future feuille de route. La situation volatile en Irak aurait certainement un impact sur le grand Moyen-Orient, qui est déjà sous le choc de tensions accrues. L’Inde espère que le gouvernement irakien prendra des mesures pour répondre aux doléances de son peuple et que la paix et la sécurité reviendront dans le pays ravagé.
Texte du Dr MOHD. MUDDASSIR QUAMAR, analyste stratégique pour l’Asie occidentale
Traduction : SAVITA P.TANEJA, Responsable du service français d’ESD, AIR.